L'IA peut-elle être mise au service de l'éducation ?
L’accès de Chat GPT au grand public a fait de l’intelligence artificielle générative un grand sujet de questionnement pour l’école. Son « intrusion » dans le milieu scolaire a même paru vertigineuse pour beaucoup. Avec un peu de recul, on se pose la question : faut-il se méfier ou au contraire se saisir de l’IA dans la pédagogie ?
Plus de 90 %* des élèves de seconde ont utilisé ChatGPT pour leurs devoirs depuis que l’outil a été rendu accessible au grand public fin 2022. Le phénomène n’a cessé de s’amplifier. En août 2024, ChatGPT faisait partie des applications les plus téléchargées de France juste après Snapchat (19 millions vs 22 millions)**. Aujourd’hui, un élève sur deux utilise la GenAI (IA générative), et beaucoup le font de manière systématique. En quelques secondes, de son smartphone, il est si simple d’obtenir une dissertation rédigée, une analyse de texte argumentée, un devoir d’histoire enrichi de références, des réponses en mathématiques, en géographie, en histoire… Alors, finis les profs ? Les apprentissages classiques ? La réflexion ? La réponse n’est pas si simple !
Plan de l'article
L’IA générative, simulation de l’intelligence humaine
Facile, intuitive, instantanée, l’IA génératice s’est engouffrée dans nos vies sans préavis ni pédagogie. Les « prompts », ces demandes courtes que chacun formule pour générer des contenus, constituent des clés d’entrée à l’outil très accessibles, à la portée de tous : à une question succincte, une réponse longue et documentée, à une commande de visuel, la création d’une image plus vraie que nature et tout cela en quelques secondes… Comment est-ce possible ?
Le scraping de données : la collecte des informations sur le web
Le principe de fonctionnement de l’IA générative est de manipuler une énorme masse de données issues de pages internet, de forums de discussions, de banques d’images, d’encyclopédies en ligne… et d’en rassembler, organiser et modéliser les mots et les symboles dans une langue naturelle afin de simuler la pensée et la créativité humaines. Ce principe de fonctionnement s’appelle le scraping de données. Pour cela elle repose sur des probabilités statistiques, calculs et algorithmes conçus par des ingénieurs et techniciens.
Des contenus générés de manière aléatoire et calculée
Les contenus générés par l’IA ne sont donc pas issus d’une réflexion, d’une compréhension, d’un questionnement, d’une émotion – propres à l’intelligence humaine – mais de calculs mathématiques.
Les outils IA aussi apprennent à s’améliorer: “machine learning”
Par ailleurs, l’IA “s’améliore” grâce à d’un processus d’apprentissage continu de la machine grâce aux interactions que nous avons avec elle. Cela s’appelle le “machine learning” Tout son attrait réside dans le fait qu’elle revêt l’illusion parfaite de la pensée humaine…
ChatGPT, « faux ami » pour les élèves ?
Dès lors, difficile pour les élèves et étudiants d’y résister ! Face à l’engouement général pour l’IA si simple d’accès et si attrayante, les spécialistes expliquent que ses apparentes rigueur et cohérence de l’IA peuvent toutefois être trompeuses.
La qualité des réponses dépend du prompt
La réponse de l’outil n’est en effet jamais stable et fiable car elle dépend de la qualité et de l’efficacité du « prompt ». La formulation de ce dernier peut induire des erreurs, occulter des informations, simplifier à l’extrême la réponse. Contrairement à la calculette, l’IA ne fournit jamais la même réponse ! En fait, l’IA générative montre son potentiel à partir du moment où son utilisateur est capable de rédiger les bonnes questions et donc… a bien compris son sujet !
L’inconvénient des sources fiables : les “hallucinations”
Autre limite non négligeable, ChatGPT ne cite bien souvent pas ses sources. Les informations sont transmises sans savoir d’où elles proviennent, ce qui pose la question de leur authenticité.
Ces erreurs de l’intelligence artificielle générative (IAG) sont appelées “hallucinations”. Faits, statistiques : il existe beaucoup d’hallucinations différentes qui peuvent contribuer à l’apprentissage d’un contenu faux sans vérification des sources ou relecture de la part de l’élève. Le taux d’hallucinations de ChatGPT s’élèverait à 28%.
Sur des sujets pointus ou en lien avec l’apprentissage de connaissances, la GenAI doit forcément être vérifiée et l’outil indique bien dans son interface : “ChatGPT peut faire des erreurs. Envisagez de vérifier les informations importantes.”
L’exemple du “flop” de l’IA Lucie
D’ailleurs, l’IA Lucie destinée à l’éducation et développée en France avait rapidement fermé à la suite de nombreuses hallucinations qui avaient déclenché les foudres des internautes.
Des contenus rédigés par IA facilement repérables
Enfin, il faut savoir qu’un élève qui se contente de faire un copié-collé d’un texte de ChatGPT, s’il ne le complète ou ne le précise pas, fournit un contenu facilement repérable. L’outil répond en effet à une logique d’essai à l’anglo-saxonne et non à la française et les critères de rédaction peuvent être différents, de la structure du texte aux enchaînements, références culturelles, choix du vocabulaire, des argumentations…
Ceci met donc aussi l’élève dans une situation de “triche” : avec des classes où la majorité des élèves rendent le même devoir (rédigé par ChatGPT) et il y a aussi ceux qui se servent de l’application pour pouvoir tricher pendant les évaluations et les devoirs surveillés. Pour les enseignants, il existe désormais des outils de détection de ChatGPT ou d’outils d’IA qui leur permet de repérer les signes caractéristiques d’un contenu rédigé de manière générative.
Un outil de base pour la réflexion
Pour résumer : oui, l’IA générative peut faciliter la tâche des élèves, mais sa valeur ajoutée dépend de la façon dont elle est utilisée et maîtrisée par eux. Certains lycéens témoignent qu’ils optimisent ChatGPT dans leurs apprentissages en gardant totalement la maîtrise du contenu généré : travail du sujet en amont (pour bien rédiger et renseigner son prompt), vérifications des données générées et des sources, ajout de réflexions personnelles complémentaires... L’IA générative est une alliée des apprentissages à condition d’être condition être bien formés à son utilisation, à son optimisation tout en gardant son esprit critique.
Éduquer « au » numérique avant d’éduquer
« par » le numérique
Face à cette révolution numérique – comparable à l’apparition de Google en 1998 – impossible de rester passif. L’éducation des jeunes et des enseignants aux IA génératives est fondamentale pour en comprendre le fonctionnement, les limites, les opportunités, pour découvrir et comparer les autres offres (Chatsonic, Claude, Poe, Gemini…) car ChatGPT est l’arbre qui cache la forêt.
Moins d’un professeur sur cinq utilise l’IA
Il est essentiel d’affûter ses connaissances et son esprit critique sur ces outils pour ne pas les manipuler passivement ou céder à la crainte et à l’incompréhension. Le site de l’Education Nationale indique qu’ « alors que la grande majorité des élèves et des étudiants utilisent aujourd’hui l’IA, moins de 20 % des professeurs s’en saisissent régulièrement dans leur pratique professionnelle ».
Les ressources de formation IA professionnelle pour les profs
C’est pourquoi de nombreuses ressources sont mises à la disposition des enseignants pour prendre le train de l’IA :
- webinaires proposés par le CREIA (Communauté de réflexion en éducation sur l’IA)
- le réseau Canopée qui propose des contenus pédagogiques et des partages d’expériences positives d’enseignants.
Formation en GenAI obligatoire pour les 4es et les 2ndes
L’Education Nationale a mis en place un module de formation obligatoire pour les 4ᵉ et les secondes dès la rentrée de septembre 2025. Ce parcours évaluera, via une plateforme (PIX), les connaissances et compétences en IA de l’élève, puis lui proposera un programme personnalisé avec des modules sur des thématiques comme les bases du prompt, le fonctionnement des IA génératives, la gestion des données et les impacts environnementaux. Cette formation, qui durera entre 30 minutes et 1 h 30, sera mise à disposition de tous les collégiens, lycéens et professeurs qui le souhaitent.
L’enjeu de la démystification, de la connaissance, de la maîtrise de l’IA générative au sein des établissements scolaires français est crucial pour conserver son libre-arbitre et exploiter au mieux l’outil au sein de l’école.
Les potentiels éducatifs des outils éducatifs basés l’IA
Il faut distinguer les technologies basées sur l’intelligence artificielle destinées à des fins pédagogiques et éducatives de l’IA générative, auxquels les élèves font souvent face tout seuls.
Autonomiser plutôt que remplacer
Lors de la convention de Beijing en 2019, L’UNESCO *** avait recommandé notamment de « veiller à ce que les technologies de l’IA servent à autonomiser les enseignants au lieu de les remplacer et développer des programmes appropriés pour le renforcement des capacités afin que les enseignants travaillent aux côtés des systèmes d’IA ».
Tout l’enjeu est de faire de l’IA un outil au service de l’intégration des savoirs, adaptées aux programmes scolaires et aux rythmes des élèves et bien sûr maîtrisés par les enseignants.
Gamifier l’enseignement grâce aux outils d’IA
Les logiciels et solutions développés par les entreprises de l’EdTech françaises sont conçus dans ce sens : permettre aux enseignants d’animer, gamifier, et personnaliser et rendre encore plus efficaces les apprentissages et à chaque élève d’avancer à leur rythme. Des textes et vidéos peuvent être transformés en quiz, flashcards, glossaires, mots fléchés, mots mêlés… Pendant que certains élèves travaillent en autonomie sur les outils développés grâce à l’IA, les professeurs peuvent passer plus de temps avec des élèves en difficulté, tout en validant le niveau global de la classe.
Aujourd’hui, par exemple, 50 000 enseignants français utilisent l’IA pour apprendre à lire et à compter à l’école primaire à partir de solutions françaises comme Lalilo, application construite avec et pour les professeurs des écoles pour permettre un suivi en classe et à la maison. L’État participe à ce mouvement en développant des ressources numériques pour soutenir les apprentissages pour les professeurs à travers les espaces numériques de travail (ENT) sur son site EDUSCOL.
Vers une IA souveraine, encadrée et éthique dans l’éducation
À l’été 2025, un appel à projets, financé à hauteur de 20 millions d’euros par le grand plan d’investissement France 2030, sera lancé pour développer une IA souveraine, ouverte et évolutive à destination des enseignants.
L’idée est de rendre disponible, dès l’année scolaire 2026-2027, un outil pour les soutenir dans leurs activités telles que la préparation des cours ou l’évaluation des élèves. Question centrale, l’éthique sera formalisée pour poser des règles claires sur l’usage de l’IA dans les établissements scolaires, pour assurer une intégration sûre et respectueuse des valeurs éducatives.
Cette démarche répond à un besoin pour les enseignants de reprendre les « commandes des technologies de l’éducation, de les utiliser de manière judicieuse, et de leur permettre d’apporter un soutien, sans jamais supplanter les interactions humaines dans le cadre de l’enseignement et de l’apprentissage », comme l’a proclamé l’Unesco en 2023.
L’utilisation de l’intelligence artificielle au Lycée La Jonchère
Les outils de l’IA sont entrés depuis longtemps dans les pratiques des enseignants du lycée de La Jonchère. Les principes de gamification, personnalisation et animation des apprentissages qui se veulent actifs et collaboratifs sont des réalités quotidiennes avec l’utilisation des nouvelles technologies. Ces dernières constituent une partie du socle de la méthode pédagogique de l’école (applications mobiles éducatives, Duolingo, Kahoot,…)
Dans le cadre de certains projets, les enseignants s’appuient sur des innovations comme Mizou pour créer l’expérience sensorielle : préparer et effectuer l’interview de Napoléon ou de Socrate (!), entrer dans la réalité de la vie des Amérindiens du 16e siècle, participer à un congrès historique… En tant qu’apprenant, comment ne pas être totalement impliqué lorsque l’on aborde les connaissances de cette façon ?
Enfin, l’IA générative est un sujet qui entre pleinement dans le cadre des apprentissages. Les élèves ont besoin d’accompagnement pour la rédaction des prompts, la vérification, l’appropriation et la restitution des contenus. Toutes ces étapes doivent être produites non pas passivement mais avec esprit critique. Des master class sont prévues à cet effet avec au menu : prise de connaissances des différentes offres d’IA génératives (comme Mistral, Gemini, Perplexity), leurs valeurs, leurs éthiques, leurs fonctionnalités… Il s’agit de former les jeunes pour les accompagner dans ces usages devenus centraux pour soutenir la pédagogie. L’intelligence humaine avant tout !
* Rapport sénatorial « ChatGPT, et après ? Bilan et perspectives de l’intelligence artificielle », novembre 2024.
**Blog du modérateur, septembre 2024.
*** United Nations Educational, Scientific, and Cultural Organization
Références et sources :
« Intelligence artificielle et pédagogie», Les cahiers pédagogiques n°593, coordonnés par Julie Higounet et Jean-Michel Zakhartchouk, mai 2024.
« J’enseigne avec l’IA. Guide pratique de l’IA au service de l’enseignant et de l’élève », Mickaël Bertrand, Vuibert, février 2025.
« Le tout premier consensus sur l’intelligence et l’éducation » par l’Unesco.
« L’intelligence artificielle dans l’éducation », Académie de Paris.
« Enseigner avec le numérique »,Canotech.
« Enseigner avec l’IA », Extra classe réseau Canopée.